Alexandrine Brami : Lingopass, un projet éducatif visionnaire et transformant
Diplômée de l’ENS Paris-Saclay en Sciences sociales (Promotion 1998), Alexandrine Brami part au Brésil il y a une vingtaine d’années. Avec zéro budget en poche mais la conviction profonde, fondée sur les valeurs transmises par l’École, que l’éducation et la culture sont des armes qui peuvent transformer des vies, elle crée plusieurs entreprises qui la mènent jusqu’à Lingopass, une Edtech spécialisée dans la formation linguistique en ligne qui permet aux étudiants et salariés un apprentissage des langues rapide et sur mesure. Portrait d’une normalienne entrepreneuse au parcours atypique.
« Mon parcours n'est pas très linéaire, s'amuse Alexandrine. L'École Normale m'a offert la possibilité de vivre et même de valoriser cette non-linéarité : imaginer les possibles, tester, se tromper, corriger, recommencer... cette gymnastique de l'esprit que nous savons pratiquer sans relâche et sans perdre le cap m'a permis de gagner ma liberté, au prix, certes, de beaucoup, beaucoup de travail. »
Après avoir passé un an à Tahiti pour étudier le renouveau identitaire et culturel dans la jeunesse maohi, Alexandrine Brami s'est rendue au Brésil pour une mission de Sciences Po Paris visant à renforcer les partenariats avec les principales universités du pays. Ne parlant pas un mot de portugais, elle a dû apprendre la langue rapidement tout en se consacrant à sa tâche principale : préparer les jeunes brésiliens des établissements partenaires au concours d'entrée.
L’éducation, l’arme fatale pour transformer des vies
Alexandrine met au point pour elle-même un mode d'apprentissage par paliers réguliers, avec discipline, rigueur et exigence. « Comme j'avais étudié deux langues difficiles, le russe et l'hébreu, j'ai appris rapidement le portugais. Ma grande victoire a été d'avoir permis à mes élèves d'intégrer Sciences Po en six mois, atteignant un taux de réussite de 30%. » Elle aide également les recalés à intégrer d'autres établissements. « C'est ainsi que m'est venue l'idée d'une classe préparatoire intensive pour passer les épreuves des concours, sur le modèle des classes préparatoires françaises ». Sa vocation est née, et elle décide de rester au Brésil, convaincue de renouveler l'idéal qui avait animé les enseignants normaliens venus en mission dans les années 1930 pour aider à la création de l'Université de São Paulo. « Je me suis dit : j'ai trouvé ma mission, créer l'université du futur, ancrée dans le monde d'aujourd'hui, 100% digitale, destinée à réduire les frontières géographiques et les disparités sociales. » Depuis 2007, Alexandrine Brami tisse son « œuvre », en toute humilité. « Pour nous, les normaliens, le succès est une conséquence, non un but »
Le collectif, en mode bootstrap
Alexandrine développe plusieurs projets à partir de 2007 qui sont autant de jalons sur le chemin de la création de Lingopass, en 2021. Sans connaissance du monde des affaires, du marketing, ou du management, elle apprend en autodidacte, en lisant beaucoup et en demandant conseil auprès de dirigeants d'entreprises qui se prêtent volontiers à l’exercice en endossant le rôle de mentors auprès de la jeune normalienne. Recrutement, vision, stratégie, elle n’hésite pas à les solliciter sur tous les sujets. « Lancer une startup au Brésil à l’époque n'était pas du tout glamour », se souvient-elle. Toute idée puisée à l’extérieur est assimilée puis nourrit la stratégie de chacun de ses projets. Mais elle aime répéter que son arme fatale, c’est le collectif. « Tout mon parcours entrepreneurial s’est construit collectivement, en m’associant avec des personnes dotées des meilleures compétences dans tous les domaines, et différentes de moi, à la fois plus empathiques, capables de créer du lien spontanément, et plus organisées, aptes à planifier et exécuter ». Sans capital, tout est fait en mode « bootstrap »[1] « Nous avons sans cesse ajusté, corrigé, adapté… Il fallait tout faire, se souvient Alexandrine. Mais nous n’avons jamais perdu d'argent. Tout ce que nous gagnions était systématiquement réinvesti pour innover. »
Dès 2008, la jeune femme a l’intuition de la montée en puissance de la numérisation de l’éducation et construit sa première plateforme digitale de formation à distance. « Au début, nos élèves étant réticents, nous avons dû les forcer en conditionnant l'obtention des certificats à la réalisation d'un nombre minimal d'exercices en ligne, raconte-t-elle. On a d’ailleurs très vite découvert que ceux qui passaient le plus de temps sur la plateforme obtenaient de bien meilleurs résultats que les autres ». Pour survivre dans un écosystème des affaires brésilien peu clément, elle anticipe le pire, et le pire arrive, une première fois en 2009, sous la forme d’une crise économique et une seconde fois, en 2020 avec la crise sanitaire. « J'ai réuni mes équipes en disant que nous avions six mois pour pivoter et passer d'un modèle de vente ponctuelle aux particuliers (B2C) à un modèle de vente récurrente pour les entreprises (B2B). Nous nous sommes mobilisés comme une armée pour élaborer une solution de formation All-In-One, totalement intégrée et adaptée aux besoins de gestion et de contrôle des ressources humaines. »
Lingopass, une plateforme révolutionnaire
La startup va au-delà de la simple vente de produits pédagogiques en proposant des solutions innovantes. En collectant et analysant un grand nombre de données grâce à l'intelligence artificielle, elle offre une personnalisation avancée et en temps réel des parcours d'apprentissage, utilise l'analyse prédictive pour accroître l'engagement et prévenir l'abandon, et soutient les entreprises dans l'identification et le recrutement des talents les plus performants capables d'apprendre rapidement. Le projet de transformation porté par la startup est à la fois humain, social et politique. « L'éducation, affirme Alexandrine, est l'instrument de soft power le plus puissant pour partager une vision du monde et des valeurs, comme celles qui caractérisent notre culture française, combinant tradition et modernité, excellence et innovation, ouverture et diversité ».
Où Alexandrine Brami puise-t-elle son inspiration et son énergie ? « L'École Normale a transformé ma curiosité, un vice, en vertu », répond-elle en souriant. Avant 30 ans, elle passait des journées entières à la bibliothèque. « On me qualifie souvent de visionnaire, mais je suis simplement hyperactive et hyperconnectée, ce qui me permet de capter les signaux faibles du marché et d'anticiper les tendances. » L'humilité typique des normaliens l'a également influencée. « Besogneux, nous voulons toujours faire mieux et aller plus loin », affirme la jeune entrepreneure, prête à devenir mentor à son tour pour conseiller et soutenir de futurs entrepreneurs. « J'aimerais accueillir au Brésil ou travailler à distance avec des normaliens engagés pour l'éducation. Chercheurs ou étudiants, formés en statistiques, data science ou intelligence artificielle, ils découvriront un formidable laboratoire d'expérimentations et aideront le projet à se développer rapidement, intelligemment, avec éthique et humilité. » Êtes-vous prêts pour l'aventure ?
[1] Le bootstrap consiste à créer une entreprise sans faire appel à des investisseurs externes.
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